La Birmanie des Britanniques renommé Myanmar en 1989 par le régime
militaire qui y règne d’une main de fer depuis près de 40 ans. S’enrichissant
sur le dos du peuple Birman qui ne profite guère des ressources de sa terre
comme le tek, les rubis, diamants et autres. Comme un dentiste Birman avec
lequel je communiquais par internet, je vais utiliser ici le terme de Birmanie,
façon comme une autre de montrer ma non reconnaissance de ce régime. Le jour ou ce sera un gouvernement démocratique au pouvoir en acceptant Myanmar comme dénomination, qui est le nom qu'avait le pays avant l'invasion Briatannique, alors là je l'utiliserai.
Les récents événements ont amené ce pays peu connu sous les feux de la
rampe internationale, mais tant que les grandes puissances régionales ne prendront
pas de sanction contre le régime il faudra du temps avant de voir une évolution
vers la démocratie. Tous les regards se tournent vers la Chine, dont le
gouvernement n’a pourtant rien à envier à celui de la Birmanie pour ce qui est de
la liberté, mais qui ne semble pas prête à ralentir les échanges avec la junte
Birmane dont elle est le second partenaire commercial derrière Singapour et la
Thaïlande.
Bien des personnes préfèrent boycotter la Birmanie et ne pas enrichir de
ce fait la junte. Apres m’être posé ces questions morales, je me suis décidé à
passer le pas et voir de moi-même le résultat de plus de 40 ans de régime
militaire. En essayant de faire attention à mes dépenses en veillant à ce que
le moins possible aille au gouvernement.
J’aperçois par le hublot les gratte-ciels alors que le zinc entame sa
descente sur la capitale. « Eh bien ! Cela semble plutôt bien développé
malgré le régime que c’est » me dis-je en moi-même.
Annonce au microphone « Mesdames et messieurs nous sommes bien
arrivés à l’aéroport international de Bangkok, la température ext…. »
De Bangkok ???? C’est quoi ce délire. Un coup d’œil par le hublot
une grande affiche annonce « longue vie au roi » Y’a pas de roi en Birmanie !
« Merde je me suis planté de vol, fait chier » C’est tout à
fait dans mes cordes ça. C’est pour ça
que je voyageais en stop jusqu’ici, y’a pas de risque de se gourer. Je me
disais aussi, après les 2 heures de retard, ils ont fait plutôt rapidement l’embarquement,
et ont déchiré mon billet sans même le regarder.
Puis une autre annonce précise que ce n’est qu’un arrêt de transit et
que l’on repart sur Rangoon (aujourd’hui Yangon).
Ouf !
Quand l’avion survol Rangoon, le tableau n’est pas le même. Cette
capitale, ou plutôt ex-capitale depuis que les leaders l’ont déplacée l’année
dernière, respectant en cela l’histoire Birmane qui a vu sa capitale changer de
place un grand nombre de fois avant cela. Cette ex-capitale ressemble plus à
une grande ville de province qu’à la première ville d’un pays 50 millions
d’âmes. Je ne sais pourquoi, mais quand
je mets le pied sur ce sol, je suis envahi par une vague de bonheur qui me fait
avoir un sourire béat sur le tarmac. Qu’est ce qui dans ce pays me fait être heureux ?
Je ne sais pas encore. Ce qui me surprend c’est le calme dans lequel les choses
se déroulent, pas de bousculade à l’aéroport, pas de cri, pas de tumulte, pas
de conduite au klaxon. Après l’Inde cela détend.
A l’aéroport, il faut faire différemment de ce que la logique dicterait
pour d’autres pays, la fille de l’office du tourisme me déconseille de changer
au bureau de change officiel qui paye 400 Kyats pour 1 dollar alors que le
cours est à minimum 1200. « Je connais quelqu’un qui peut te changer en
ville ». Ce genre de truc est de l’arnaque dans un autre pays mais ici
c’est l’état qui arnaque, et ce qu’elle me dit m’est confirmé par la suite.
Cette fois ci je ne fais pas l’erreur que j’ai faite en Iran, j’ai pris
suffisamment d’argent avec moi. Mais je m’y suis pris tard et ne dispose que de
roupies et non de dollar, qui est la monnaie reine avec le Kyat. J’y perds au
change, mais au moins, j’ai de l’argent.
Je suis reçu à Rangon par Sandar une ami Birmane que m’a fait connaître
Josette une amie qui sillonne la planète avec cet appétit de nouveauté, cette
ouverture à l’autre que je partage depuis que je suis moi-même sur la route. (son site de voyage: www.aux4coins.com)
Sandar, guide touristique, me prépare une feuille indicative pour un
tour du Myanmar qui me permet d’avoir quelques repères.
Raymond guide Suisse, associé à Sandar et Jacques autre francophone
installé en Birmanie me précisent des détails sur le régime et le comportement
à adopter au sujet de la politique. Quand on ne sait pas ou se situe son
interlocuteur il est préférable de ne pas parler politique qui est un sujet
sensible en Birmanie. Ils me parlent
aussi d’éventuels provocateurs publics qui relèvent les opposants.
L’opposition à la junte dont la figure de proue, fondatrice de la Ligue
National pour la Démocratie, Aung Saun Su Kyi, retenue en résidence surveillée
depuis 12 de ces 14 dernières années, est systématiquement poursuivi et arrêté,
a des difficultés à se structurer.
18 heures de bus. Me voila arrivé à Pagan une des nombreuses anciennes
capitales Birmanes, immense champ de pagodes, temples et stupas. Il y en aurait
près de 2000. Je m’attendais à voir des habitations dans l’enceinte de la
vieille ville, mais c’est du sable, des arbres et des stupas. Comment ce
fait-il qu’il y n’y ait pas une habitation dans ce secteur qui aurait du être
le premier à être habité ? La réponse se trouve au sud, dans le nouveau Pagan qui a accueilli les habitants qui ont du quitter leur habitation en une
semaine. Tout y a été rasé par les militaires qui selon certain voulaient
éviter trop d’échange entre les locaux et les touristes, vecteur d’idées
démocrates. J’en fais le tour en trishaw ces «touctoucs » locaux, genre de
vélo ‘side car’ ou plutôt ‘side bike’ pouvant embarquer 2 personnes.
A l’entrée des principaux temples des jeunes vendeurs ce précipitent sur
le touriste. « C’est pas cher, c’est local » répètent t-ils en
français ou « Lucky money ». Dès qu’ils vendent quelque chose, ils
passent le billet acquis au dessus de leurs produits comme pour leur apporter
bonne fortune. Très superstitieux, ils se font tatouer des quadrillages remplis
de symboles conjurant du mauvais sort ou empêchant la dernière née d’avoir
telle maladie. Les diseurs de bonne aventure sont légion également, lisant dans
les lignes de la main ou permettant de savoir si 2 personnes sont faites l’une
pour l’autre. Le jour de la semaine de notre naissance revêt également une très
grande importance, le mercredi, jour de naissance du Bouddha compte double,
c’est l’éléphant blanc et noir.
Je suis rat, née un jeudi.
Je me dirige ensuite vers le mont Popa, à l’arrière d’un pick-up bondé
jusqu’au toit. Dans le dernier village avant le mont Popa, je continue à pied
voulant essayer le stop, mais c’est une cause perdue. Le peu de voitures individuelles
sur les routes et le nombre important de pick-up bon marché rendent la tâche de
l’autostoppeur quelque peu obsolète. J’ai tout de même voulu tenter ne serai-ce
que pour marcher dans la campagne. A mon passage, j’entends les rires des
femmes depuis les cabanes de bambous, le principal habitat Birman, qui bordent
la route. J’ai du Tanaka sur la figure que m’ont étalé des vendeuses à l’entrée
d’une pagode. Cette substance jaune tirée d’un arbre dont les femmes,
s’enduisent le visage et les bras pour ce protéger du soleil et surement
également adoucir et nourrir la peau. Mais même sans le Tanaka sur la figure,
les sourires et les rires viennent naturellement de tous les cotés. Plus loin,
le conducteur d’un 2 roue attablé dans une de ces cabanes en bambou, me propose
de m’y emmener « Pour le fun » me dit-il « Tu n’as pas a
payer »
Le scooter peine sur les contres-fort du mont « c’est de la qualité
chinoise » me précise t’il alors que je lui propose que je finisse à pied.
Après 100 mètres à pied, je me retourne et l’aperçois qui sort l’antenne d’un
talkie-walkie. Etait-ce un militaire ? Je me pose encore la question.
Quoi qu’il en soit je m’imagine passer la nuit dans un coin tranquille
du mont, là encore je me mets le doigt dans l’œil. On me fait signe pendant ma
progression, je m’approche, je me retrouve dans un monastère, les moines me
proposent d’y dormir. Cela semble une pratique courante ici, il y a un registre
et des chambres sobrement équipées d’une natte en bambou. C’est parfait.
Je monte sur le temple accroché en haut d’un piton rocheux accompagné
par les singes. Avec une ombrelle en dentelle trouvée en allant pisser dans un
bas-côté, j’apprendrai par la suite que ce type d’ombrelle est réservé aux
nats, ces esprits de personnes décédées auxquels les Birmans rendent culte. Tout
le monde rit à mon passage. J’entends « qu’elle beau parapluie » puis
à mi chemin sous l’enthousiasme des vendeurs je me mets à danser en faisant
tourner l’ombrelle autour de moi genre Mary Popins. Applaudissement et rire des
vendeurs qui apprécient mon ridicule.
Un moine anglophone me tient compagnie pendant mon repas il m’apprend
que des moines veulent rencontrer le gouvernement au sujet de plusieurs d’entre
eux qui ont été tabassés par des militaires il y a quelques jours. Depuis
mi-août les moines, suivis par une partie de la population, manifestent contre
la hausse soudaine du prix du carburant.
Le pick-up qui me ramène à Pagan s’arrête avant un panneau qui indique
que chaque touriste doit payer une taxe de 10 dollars pour visiter la zone
archéologique. Le fonctionnaire qui s’approche me montre le panneau. Je me
demande bien pourquoi ne m’a-t-on rien demandé hier en descendent du car ?
« Regardez, c’est mon ticket de car de Rangon à Pagan, cela prouve bien
que j’y suis déjà allé »
« Mais avez-vous ce ticket qui vous autorise à
visiter la région ?»
« Je l’ai jeté car je partais de Pagan. »
« Sans ce ticket vous ne pouvez pas rester à
l’hôtel, ils vont vous le demander »
« Je ne compte pas rester, je continue en bateau vers
Pakokku »
« Il est trop tard, il n’y a plus de bateaux à
cette heure ci »
Un autre fonctionnarisé arrive pendant que le pick-up attend la
résolution du différent. Tout le monde à l’écoute de ce qui se passe par ici.
« Est-ce que je peux vous aider”
« Oui, je ne veux pas payer 2 fois la
taxe » (que je n’ai pas payé une seul fois pour le moment)
Apres dix minutes de discussion il conclu :
« Je ne peux rien faire pour vous »
« Je peux y aller
alors. »
« Oui, mais vous allez avoir des soucis pour vous loger »
10 dollars ce n’est pas grand-chose mais c’est toujours ça que je ne
donne pas au gouvernement. Ce sera mon jeu tout au long de mon tour du Myanmar,
éviter les check points à l’entrée des sites. Le seul que je paierais ce sera les
3 dollars d’entrée au lac Inle. Maintenant, je ne suis pas dupe, je sais que
mon argent bien qu’allant en majeur partie aux habitants pour me nourrir dans
les échoppes et dormant dans les maisons d’hôtes finance pour une faible part
le gouvernement. Les hôtels et maisons d’hôtes doivent reverser 15 % de leurs
revenus à l’état.
De retour à Pagan, on me demandera en effet ce fameux ticket, mais ne
l’ayant pas, on n’en fera pas cas. Mais je réalise alors que l’hôtelier court peu
être un risque de sanction pour avoir accepté un touriste sans le ticket.
Le lendemain, le trishaw venu me réveiller à 5 heures 30 me dépose, les
pieds dans l’eau de l’Irrawaddy encore haute de la mousson qui n’est pas
terminé, près du bateau qui va me faire remonter le temps. Les cabanes, toit de
feuilles et murs de bambous, de la rive
sont les pieds sous l’eau, cela ne semble pas gêner pour autant, on vit avec
l’eau, on s’adapte à cette période de l’année qui revient sans cesse depuis une
éternité. Des planches permettent de conserver au sec ce qui doit l’être et
d’accéder à l’intérieur, on y arrive directement en bateau pendant cette
période de crue annuelle.
J’observe les oiseaux raser la surface boueuse du fleuve et revenir dans
des trous du flanc de la falaise avec le grincement cadencé du pompeur qui vide
l’eau de la cale, ils se relaieront pendant les 4 heures que dure le trajet
jusqu’à Pakokku.
De Pakokku, en bus jusqu'à Monywa entre route et piste ou l’on croise
ces travailleurs forcés qui manipulent le goudron chaud a pleine main. On me
dit qu’un fois par an, les foyers des villages doivent donner un membre de leur
famille qui devra travailler pour le gouvernement pendant 7 semaines !!!
A Monywa, marchant a la recherche d’un bus pour Poe Win Taung pour y
voir un site de Bouddhas sculpter dans la montagne je croise 2 jeunes
cyclistes :
« Je cherche à aller à Poe Win Taung, vous savez ou ce trouve l’arrêt
de bus ? » je leur demande
« Tu continues
tout droit, ensuite c’est sur la gauche »
On se sépare, puis je les vois revenir, ils me proposent de
m’accompagner jusque-là. Je prends le guidon, le Birman sur le porte-bagage et pédale
jusqu’a la sortie de la ville. Je le trouve plutôt loin l’arrêt de bus. Ils
demandent alors la route, je comprends donc qu’ils ne m’accompagnent pas à
l’arrêt de bus mais jusqu’au site. On pédalera 4 heures pour arriver sur le
site, en traversant les villages à boire l’eau des pots en terre mis à disposition
des assoiffés de passage. Au retour je remplirai une bouteille de ce délicieux
breuvage à la couleur trouble puisé dans les puits et rivières alentours. Les
habitants tressent des feuilles pour faire le toit de leur maison, d’autre
jouent au billard indien, d’autres un autre jeu qui m’est inconnu, jetant des
coquillages dans un bol au centre d’un plateau en forme de croix sur lequel ils
déplacent des jetons.
De retour à Monywa on ira chez les parents d’un de ces jeunes qui
s’inquiétaient car il y avait une manifestation de programme dans la ville. Je
rencontre son professeur d’anglais et un ami qui est « un genre de
riche », comme il me dit. Il fait ses études à Singapour et me fera visiter
la région. Le plus grand Bouddha couché de Birmanie (ou le second je ne sais
pas exactement) tellement grand que l’on accède à « son monde intérieur »
par sa fesse droite. Je goutterai dans un de ces nombreux cafés en bambou qui
bordent les routes, au lait de la noix de Thandi qui est sucrée le matin et
fermentée l’après-midi. On arrive l’après-midi.
Mandalay
C’est ici que je vois les premières images des manifestations, sur
internet dans un hôtel qui, comme tous les cybercafés, arrivent à passer les
censures gouvernementales. Même google mail n’est pas accessible....