Je pédale pendant 3 heures et passe devant la caserne grecque de la KFOR
en charge de ce secteur. 3 hélicoptères en patrouille me survollent et régulièrement
des camions de soldats me doublent. Pas de doute, je suis bien au Kosovo. Depuis
1999 sous mandat des Nations Unis attendant la détermination de son futur statut.
Pro-Americains, les Kosovars sont reconnaissants de ce que les Etats-Unis,
l’Europe et les Nations-Unis font pour eux sur la voie de l’indépendance. Indépendance
à laquelle s’oppose la Serbie, soutenue elle, par la Russie.
Je m’arrête à coté de 2 gars en béret du type béret français bien de
chez nous, ils ne leur manquent plus que la baguette sous le bras pour imiter
parfaitement le bon franchouillard,pour
leur demander la signification des panneaux ou l’on voit un grand R blanc sur
fond rouge, sur d’autres il est inscrit « Me Ramushin » (= avec Ramush) avec le même
visage qui revient, ici en soldat ou ici en compagnie d’enfants. Ils me serrent
chaleureusement la main mais ne comprennent pas ce que je leur demande.
Oui, oui Prishtina est devant moi, oui, oui je suis dans la bonne
direction, merci. Sankiou.
Ces affiches soutiennent Ramush Haradinaj, un ancien militaire poursuivi au
tribunal de la Hague pour crime de guerre. Elles me rappellent les affiches qui
déclaraient le général croate Ante Gotovina, également poursuivi pour crime de guerre, comme un héros
dans certaines régions de Croatie. Plusieurs personnes me diront à son sujet
« ce n’est pas vrai ces accusations contre Ramush. » Quoi qu’il en
soit, des atrocités ont été commises des 2 cotés. Au musée de Prishtina on
n’hésite pas, à montrer les photos très explicites des mutilations dont on été
victimes les Albanais.
Je continue ma progression, un berger rentre ses bêtes, lui, coiffé du
couvre chef traditionnel, ce chapeau en feutre blanc en forme d’obus, hérité
des Turcs.
A l’est s’écoule la régularité du Ljuboten qui s’est, lui aussi, paré de
son chapeau blanc.
Je fais une pause dans une pizzeria ou il y aura, à deux reprises une
coupure de courant. L’offre d’électricité ne suit pas la demande. Dans les rues
je vois des générateurs pour pallier à ces coupures. Je rencontrerai plus tard,
un Albanais du Kosovo ayant fait ses études à la Sorbonne qui travaille
pourl’Edf local. Il a été en Italie
pour observer des générateurs en forme de tube qui, posés dans le lit des rivières
utilisent le courant d’eau pour la production électrique.
Les phares des voitures font jouer les ombres sur les murs en brique
rouges de la grange ou je me suis installé pour dormir. Je m’endors, épuisé et
satisfait, sur du foin confortable. Au réveil, le paysage est maculé. J’ai
toujours aimé me réveiller en découvrant un parterre de neige. C’est un véritable
bonheur que de pédaler dans cette blancheur. Les voitures me jetant des gerbes
gelées aux jambes, je me trouve rapidement des plastiques à mettre aux pieds,
me rappelant de l’étanchéité limitée de mes chaussures.
Je déambule, tel un clown aux chaussures trop grandes, traînant
plastiques aux pieds, dans les stations services et les restaurants, à la quête
d’eau.
J’arriverai dans la journée, trempé, à Prishtina la capitale.
En quête d’un endroit pour dormir, je passe devant les grilles du
gouvernement sur lesquelles sont accrochées des centaines de portraits de
Kosovars disparus pendant la guerre. J’aperçois la statue d’un jeune soldat tombé
pendant la guerre et une autre de Nene (Mère) Teresa qui est Albanaise.
Je circule dans les couloirs d’un centre sportif du centre ville sur
lequel est accrochée une immense affiche d’un autre héros de guerre, Adem
Jasharit qui est une légende pour certain. J’ouvre chacune des portes. Et derrière
chacune, on me propose de rester pour regarder. Je trouve des pongistes, des kick-boxers
et des karatékas, mais pas d’endroit ou dormir.
Par contre j’y trouve des toilettes, à la Turc bien sur, ou j’expérimente,
à défaut de papier, le petit robinet placé sur la gauche. Oui, dans les pays
Musulmans, on ne s’essuie pas aux toilettes, on se lave. Toujours avec la main
gauche qui, ne sera pas utilisée pour manger ni pour saluer quelqu’un, question
de respect. Cela vient du Coran et je trouve cette habitude plutôt hygiénique. Tout
comme les toilettes à la turque, sans contact avec le corps il n’y a pas de
risque de contamination, c’est plus sain.
En retournant au vélo, un gars de la sécurité me dit qu’il s’apprêtait à
appeler la police croyant qu’il y avait une bombe dans mon sac sur le
porte-bagages. Quand je lui apprends que je compte me trouver un endroit à
l’extérieur pour dormir, il me présente Naim.
Patron d’un café, dont le nom n’est pas sans rappeler la couleur et la
situation des couvres chefs des soldats de l’ONU ; le blue-sky café sera
ma chambre, ses banquettes mon lit, sa sécurité personnelle mon ange gardien.
J’y découvre le macchiato, un délicieux café avec du lait légèrement moussant.
Le lendemain, Buren, un ami de Naim m’invite à faire du ski. Rendez vous
est pris pour le jour suivant.
On fera en 20 minutes en voiture ce que j’ai mis plusieurs heures à
faire en vélo. De retour dans les montagnes du sud, je goutte aux pentes de la
montagne Sharr à Brezovica. Les pistes ne sont pas damées mais la neige y est
bonne. Buren, dit Beckham, vient tous les week-ends, il connaît la personne de
la location de ski et des remontes-pentes. Je suis son hôte pour la journée.
J’irai voir Grachanitsa, magnifiquemonastère Orthodoxe du 14eme siècle, à quelques kilomètres de Prishtina,
comme beaucoup de site religieux il est surveillé par les forces de L’ONU.
La troisième nuit dans le Blue-sky, je suis réveillé à 3 heures du matin
par cinq poulets.
«_ Monsieur vous êtes dans un endroit qui ne vous appartient pas, vous
ne pouvez pas dormir ici.
_Je suis ici sur invitation du propriétaire, Naim.
_Vos papiers s’il vous plait.
_Les voici.
_Si vous comptez rester à Prishtina, vous allez devoir vous trouver un
autre endroit pour dormir.
_J’ai prévu de partir demain, donc pas de problème. »
Le lendemain, invité à une partie de football, je ne partirai pas. Je
retourne donc au blue-sky...